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Le Procés de Kafka
p. 258 à 262
Corrigé ...
Introduction
Le chapitre intitulé "A la Cathédrale" précéde immédiatement l'exécution du personnage principal du Procès, Joseph K. Après avoir attendu vainement un client de sa banque à qui il devait faire visiter la cathédrale de la ville, K est inerpellé par un jeune abbé qui se présente comme l'aumonier de la prison. Un étrange dialogue s'engage alors, dans lequel K, guidé par l'aumonier, reconnait la nécessité de la sentence finale et se soumet à son destin. En comparant cette séquence avec le premier inerrogatoire de K, au tribunal, on peut mesurer l'étendue du chemin parcouru par le personnage, qui ne s'étonne pas d'être reconnu par un prêtre qu'il n'a jamais rencontré, ni de devoir répondre docilement à un interrogatoire alors qu'il était venu à la cathédrale montrer les curiosités de la ville. Mais si cet interrogatoire, une fois de plus, vise moins l'établissement des faits que l'acceptation d'une culpabilité établie d'avance, il n'en constitue pas moins, par son cadre religieux, une étape nouvelle dans la représentation d'un processus judiciaire qui condamne irrévocablement l'accusé.
On verra ainsi en quoi ce texte met en scène la conversation douloureuse de Joseph K. Puis on montrera que le discours du prêtre fonctionne comme révélation d'une sentence à laquelle K ne pourra échapper.*
Le dialogue de K et de l'abbé constitue une étape importante dans le parcours de l'accusé, contraint ici de reconnaitre sa culpabilité alors qu'il ignore toujours son crime. Mais dans ce cadre religieux, l'acceptation d'une destinée malheureuse prend la forme d'une véritable conversion morale du personnage.
Contrairement aux chapitres précédents, qui montraient un personnage souvent arrogant face aux représentants de l'institution judiciaire, K montre ici un visage humble. Il se soumet aux désirs du prêtre en tous points, prenant la place qui lui est assignée, lâchant son livre de curiosités, puis répondant humblement à toutes les questions qui lui sont posées. Loin des tirades qui avaient marqué son premier interrogatoire, K répond de façon brève et avoue, à plusieurs reprises, osn ignorance de la marche à suivre ou des événements : "Je ne le savais pas, dit K"; "Je ne sais pas comment il finira. Le sais-tu toi ?". K est figuré en proie au doute, àla fois sur l'issue de son procès et sur les démarches à entreprendre : "Je vais encore chercher de l'aide, dit K en relevant la tête pour voir ce que l'ecclésiastique en pensait." C'est cet aveu d'ignorance qui permet à l'abbé d'entreprendre une véritable conversion de K en lui révélant la vérité qu'il semble incapable d'apercevoir : "Tu te méprends sur les faits...", puis, pour finir "N'y vois-tu donc pas à deux pas ?".
K, à la cathédrale, se trouve ainsi à la croisée des chemins. L'espace de la cathédrale s'organise symboliquement pour figurer l'hésitation entre deus postures possibles, face à l'abbé mais surtout face au procès. K est d'abord tentté par la fuite, représentée par "trois petites portes ténébreuses", mais il choisit finalement la confrontation avec le prêtre. Ce trajet diégétique met en abyme la destinée de K dans l'ensemble du roman, du mépris à l'acceptation du procès. La symbolique de l'espace insiste sur la difficulté du dilemme proposé à K, dans la mesure où la fuite se présente comme un saut dans l'inconnu tout aussi inquiétant, sinon plus, que la soumission à la justice : ignorance de l'avenir dans un cas, acceptation d'une destinée définie dans l'autre, c'est l'éternel paradoxe qui veut que les hommes préfèrent parfois un esclavage dont ils connaissent les limites à une liberté qui les expose au risque de l'échec. Mais une fois le procès accepté, K doit encore accomplir un véritable parcours de conversion, d'abord à l'idée de la nécessité de la condamnation, puis à l'acceptation de la fin de la procédure. Le dialogue avec l'abbé s'organise suivant ces deux temps, laissant K absolument vaincu.
On peut s'étonner de cette résignation soudaine du personnage, de cette absence d'étonnement. Tout se passe comme si K, soudain, avait su tirer les leçons de la procédure et ne s'étonnait plus de rien. Mais cette conversion doit autant à l'expérience de K qu'au dispositif de pression très puissant qui est ici exercé sur lui. En faisant irruption dans l'espace protégé de la cathédrale, la justice prouve sa puissance et bénéficie de l'aura conjugué du juge et de l'abbé. La cathédrale vide, le signe du bedeau, l'appel du croyant pour le sermon, l'éthos du prêtre, tout est fait pour impressionner profondément le personnage. Le dispositif se renforce dans le dernier temps du dialogue : K est livré au silence, et perd à la fois ses repères temporels et saptiaux : "c'était déjà la pleine nuit. Nulle couleur des grands vitraux n'arrivait à couper du moindre reflet l'ombre de murs. Et c'était pourtant maintenant que le sacristain se mettait à éteindre l'un après l'autre tous les cierges du maître-autel". L'espace, peu à peu, devient abstrait, transportant K dans un univers qui relève moins d'un tribunal humain que d'une mise en scène du jugement dernier.
C'est dans ce contexte inquiétant que K doit subir l'interrogatoire de l'abbé. Mais le jeu des questions dévoile l'enjeu véritable du dialogue, qui transforme l'accusé en coupable.*
Ainsi, l'épisode de la cathédrale fonctionne comme révélation de la sentence de K, avant le dernier chapitre dans lequel on assiste à son éxécution. Si les motifs de l'arrestation ne sont toujours pas énoncés, si la sentence de mort n'est pas exlicitement prononcée, le discours du prêtre opère pourtant comme un verdict qui engage l'humanité même du héros kafkaïen.
Le dialogue des deux hommes se donne d'abord comme une forme d'interrogatoire : le prêtre pose des questions, auxquelles K répond de façon docile. Mais on s'aperçoit rapidement que cet interrogaoire n'en est pas véritablement un : les questions du prêtres sont fermées ("Sais-tu que ton procès va mal ?") et portent moins sur l'établissement des faits que sur les sentiments de K vis-à-vis de son procès ("Comment penses-tu que cela finira ?"). En fin de compte, tout se passe comme si ce dialogue tenait office du verdict manquant, dans la mesure où l'abbé, contrairement aux intermédiaires précédents, fonde la validité de son oracle moins sur ses expériences passées de la justice que sur des informations concernant le procès de K, informations qui semblent émaner de l'institution dans son ensemble. Paradoxalement, le caractère vague des énoncés participe d'une objectivation du propos : c'est comme si la machine transcendante parlait par la bouche de l'abbé. Le pronom laisse indécise la position de l'abbé par rapport à l'institution, dont il est à la fois ici le serviteur zélé et le commentateur distant. Véritable intermédiaire entre deux mondes, la justice et la religion, l'aumonier conduit K vers l'acceptation d'un verdict de culpabilité présenté comme inéluctable.
K souffre constamment au cours du roman de la publicité donnée à son procès. Cette souffrance est présente à deux reprises dans notre passage. K, condamné à être sans cesse reconnu de tous, regrette à l'appel de son nom le temps de son anonymat : "Qu'il était beau de n'être connu qu'une fois qu'on s'était présenté". Plus tard, au cours du dialogue avec le prêtre, il se plaint du mécanisme de contamination qui lui vaut de ne rencontrer que des interlocuteurs prévenus contre lui : "Tous ceux qui s'occupent du procès ont une prévention contre moi. Ils la font partager à ceux qui n'ont rien à y voir, ma situation devient de plus en plus difficile". Mais l'abbé corrige cette représentation des faits en expliquant, de façon assez sibylline, que cette diffusion progressive de l'idée de la culpabilité de K fait partie de la sentence : "LA sentence ne vient pas d'un seul coup, la procédure y aboutit petit à petit". Il faut entendre par là que, contrairement à la marche normale d'un procès, dans laquelle l'accusé n'est déclaré coupable qu'à l'issue de la procédure judiciaire, la justice qui s'attaque à K révèle progressivement, dans l'entourage de K comme à la banque, une sentence de culpabilité établie d'avance. Si "procédure" il y a, ce n'est donc pas au sens où nous l'entendons communément : ni instruction, ni procès, elle est seulement révélation progressive d'un verdict énoncé dès l'arrestation.
Néanmoins, la révélation reste partielle. Si l'abbé renseigne K sur l'issue nécessairement négative de la procédure, il ne dévoile pas le motif qui justifie cette sentence. Les explications de l'aumonier, en vertu d'un paradoxe très kafkaïen, ne font ainsi que multiplier les interprétations possibles du roman. Car, paradoxalement, la culpabilité de K semble d'autant plus établie qu'elle est sans objet précis. L'interrogatoire, une fois de plus, se détourne des motifs de l'arrestation du fondé de pouvoir pour tenir la faute comme acquise, "prouvée". K réagit de façon assez surprenante à cet énoncé de sa culpabilité en demandant "comment un homme peut-il être coupable ? Nous sommes tous des hommes ici, l'un comme l'autre". Alors que K, en s'appuyant sur l'innocence universelle de l'homme, renverse le dogme chrétien de la culpabilité originelle, l'abbé le renvoie au contraire à son identité d'accusé en ne concédant l'argument que pour réaffirmer la cupabilité. C'est ici que la confusion de la justice et de la religion atteint sa dimension laplus troublante, dans la mesure où la culpabilité nécessaire de K prend la dimension d'un crime existentiel, défini en termes religieux. La mise en scène d'un prêtre dominateur ui sermonne et juge l'accusé K suggère "in fine" que tout homme est naturellement coupable et naturellement condamné.* * *
Conclusion
Il faut donc souligner, pour conclure, l'ambiguité extrême de ce passage, qui intervient comme une justification de la condamnation imminente du personnage principal. Point culminant du roman dans la mise en scène d'une justice toute-puissante, le récit montre un dispositif impressionnant destiné à soumettre l'accusé à la nécessité de son destin. L'aumonier des prisons retrouve ainsi son rôle traditionnel dans le processus judiciaire et religieux : il accompagne le condamné vers une mort inéluctable, que celui-ci doit accepter pour obtenir son rachat. Kafka dénonçait dans son journal la transcendance du destin qui marquait les romans et l'idéologie dominante du XIX° siècle. Il montre ici que K est moins victime de sa culpabilité que d'un système qui utilise le destin pour soumettre les hommes.
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